La fixation du prix des médicaments remboursables par le CEPS
Un médicament ne peut être remboursé par la sécurité sociale à n’importe quel prix. Afin de déterminer un prix acceptable à la fois pour les comptes sociaux et pour les laboratoires pharmaceutiques, un comité interministériel, le CEPS, est chargé de négocier avec les entreprises.
Selon l’article R.163-8 CSS, la demande de négociation avec le CEPS intervient nécessairement simultanément ou après la demande d’inscription sur une liste de prise en charge :
- Lorsque la demande d’inscription sur la liste ville est formulée, l’entreprise doit proposer dans le même temps la fixation par convention du prix du médicament en adressant une proposition au CEPS ;
- Concernant les médicaments inscrits sur la liste collectivités, l’entreprise doit proposer au CEPS une fixation du prix du médicament par convention « sans délai » une fois le médicament inscrit sur cette liste.
Le CEPS est le Comité économique des produits de santé. En France, le volet évaluation géré par la HAS est séparé du volet tarification géré par le CEPS. Le CEPS est un organisme interministériel, prévu par l’article L.162-17-3 CSS et placé sous l’autorité conjointe du ministre de la santé et du ministre de l’économie.
Il est important de réaliser un « focus » sur les médicaments dispensés en établissement de santé. Dans la majorité des cas, le principe est que les établissements de santé achètent aux laboratoires les médicaments sur le principe de la liberté des prix, et donc de la négociation entre l’établissement et les laboratoires. Le CEPS n’intervient ainsi, dans la fixation des prix des médicaments dispensés en hôpital, que dans la fixation des prix des médicaments de la liste en sus et de la liste rétrocession. Autrement dit, les médicaments dont le financement est compris dans les tarifs forfaitaires des prestations d’hospitalisation (intra-GHS) sont achetés à prix libre par les établissements (ou leurs centrales d’achat), sans intervention du CEPS.
Ce mécanisme de liberté de fixation des prix d’achat des médicaments en établissement a été critiqué par la Cour des comptes dans un rapport de 2017.
Le CEPS s’occupe donc principalement de la fixation des prix de médicaments remboursés dispensés en officine de ville. Les règles de fixation du prix des médicaments pris en charge par la solidarité nationale et vendus en officine sont fixées par l’article L.162-16-4 du code de la sécurité sociale. Des adaptations sont prévues pour les médicaments en rétrocession (L.162-16-5) et pris en charge en sus des prestations hospitalières (L.162-16-6).
L’article L.162-16-4 CSS dispose que « le prix de vente au public » des médicaments dispensés en officine « est fixé par convention entre l’entreprise exploitant le médicament » et « le Comité économique des produits de santé », « ou, à défaut, par décision du comité, sauf opposition conjointe des ministres concernés qui arrêtent dans ce cas le prix dans un délai de quinze jours après la décision du comité ».
Cet article précise les critères qui entrent en compte dans la fixation du prix : « la fixation de ce prix tient compte principalement de l’amélioration du service médical rendu rendu par le médicament, le cas échéant des résultats de l’évaluation médico-économique, des prix des médicaments à même visée thérapeutique, des volumes de vente prévus ou constatés ainsi que des conditions prévisibles et réelles d’utilisation du médicament ». La loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 a ajouté une phrase à ce paragraphe, afin de prévoir que la fixation du prix « peut également tenir compte de la sécurité d’approvisionnement du marché français que garantit l’implantation des sites de production ».
La loi n’est pas la seule source de directives que le CEPS doit suivre concernant la fixation du prix des médicaments. En effet, l’article L.162-17-3 CSS précise également que le Comité doit mettre en œuvre les orientations ministérielles qu’il reçoit sous la forme de lettres d’orientation ministérielles (LOM). La dernière LOM transmise au CEPS date du 19 février 2021, et incite notamment ce dernier à prévenir la sécurité des approvisionnements en produits de santé, à prendre en compte les « empreintes industrielles » des laboratoires sur le territoire, à prendre en compte la contrainte budgétaire dans la négociation des prix, à intégrer une dimension pluriannuelle en ce qui concerne l’anticipation des innovations pharmaceutiques, à raccourcir les délais de négociation.
La philosophie de la fixation des prix de médicaments en France repose donc sur l’idée de négociation et de signatures d’accords entre les entreprises pharmaceutiques et l’Etat. Ainsi, outre les négociations de prix portant spécifiquement sur des médicaments, deux autres types d’accords prévus par l’article L.162-17-4 CSS existent :
- L’accord-cadre, signé entre le CEPS et le LEEM (syndicat représentatif des entreprises pharmaceutiques) et communément appelé « accord-cadre LEEM-CEPS », précise l’application des mesures légales et réglementaires qui encadrent l’action du CEPS et les obligations des entreprises ;
- Des conventions pluriannuelles peuvent également être conclues individuellement entre le CEPS et des entreprises, afin de faire le point sur les conditions de prix propres aux médicaments exploités par ces entreprises, de déclarer les montants d’investissements publics perçus, etc. Un modèle de convention est prévu par l’article 6 de l’accord-cadre et annexé à cet accord-cadre.
Le chapitre II.- de l’accord-cadre LEEM-CEPS précise les conditions de fixation et de révision du prix des médicaments. Sans entrer dans les détails, il est néanmoins utile de préciser qu’il revient aux entreprises pharmaceutiques de solliciter une entrée en négociations par l’envoi au CEPS d’une Note d’intérêt économique (NIE) dans les deux semaines suivant la réception de l’avis de la commission de la transparence (CT) de la HAS. Par la suite, le CEPS adresse à l’entreprise une première proposition de prix au plus tard quatre semaines après la réception du dossier complet. Une procédure arbitrale est prévue par l’accord cadre en cas d’échec des négociations, et seulement pour les médicaments ayant obtenu une ASMR 1, 2 ou 3.
Tout l’enjeu des négociations est, pour le laboratoire, de démontrer la valeur clinique, médico-économique voire industrielle de son produit ; pour le CEPS, d’obtenir le prix le plus bas possible afin de contribuer du mieux possible au respect de l’Objectif national de dépenses de l’Assurance maladie (Ondam). Afin que les négociations se déroulent de façon responsable, il est nécessaire que le CEPS et le laboratoire parlent un langage commun ; plusieurs critères sont ainsi prédominants :
- la valeur ajoutée clinique du médicament par rapport à l’existant, évaluée par la HAS et notée sous la forme de l’ASMR ;
- la part de marché attendue du médicament ;
- le coût de référence. Ce dernier est soit celui du comparateur cliniquement pertinent identifié dans le libellé de l’ASMR, soit déterminé conventionnellement en l’absence de médicament comparateur (on parle alors d’ASMR délivré dans la stratégie thérapeutique). Ceci est cadré par l’article 10 de l’accord-cadre LEEM-CEPS. Sur la question des comparateurs, je conseille de consulter le rapport d’activité du CEPS, très détaillé sur ce sujet.
La distinction entre le prix facial et le prix net
Il s’agit ici d’un élément peu connu de la politique du médicament en France, et pourtant essentiel à comprendre. La plupart du temps, lorsque les entreprises pharmaceutiques et le CEPS entrent en discussion concernant un médicament, ils négocient pour ce dernier deux prix différents :
- le prix facial (ou « prix liste »), connu du public et affiché en pharmacie ;
- le prix net, plus bas, connu uniquement de l’entreprise et des pouvoirs publics.
Concernant cette technique, voici l’explication du CEPS, issu de son plus récent rapport d’activités :
« Le recours à des remises et donc à une décorrélation entre un prix « liste » publié, octroyé conventionnellement, et un prix net après remise, fondé sur la valeur thérapeutique du produit, peut s’avérer nécessaire à l’obtention d’un accord pour des produits d’ASMR I à III. Pour ces produits, et de manière plus rare pour les produits bénéficiant d’une ASMR IV, le prix facial s’impose au Comité, en vertu de l’accord-cadre, par le benchmark des pays européens en dehors de tout raisonnement sur la valeur. Toutefois ces remises doivent être « exceptionnelles et temporaires » (article L. 162-18 du CSS) et ont vocation à être entièrement transformées en baisses de prix à terme (article 19 et 23 de l’accord-cadre) et au plus tard lors de l’inscription au répertoire rendant possible la commercialisation de génériques ou de biosimilaires. »
Tentons d’expliquer ce mécanisme le plus clairement possible :
- le principal point des négociations concerne le prix net. C’est, in fine, ce prix que le laboratoire percevra pour le médicament. Les négociations avec le CEPS étant souvent ardues, ce prix est souvent plus bas que celui pratiqué (ou affiché) dans les autres pays européens.
- le prix facial est une invention permettant d’afficher publiquement un prix différent du prix net, et correspondant aux prix pratiqués ailleurs en Europe. Ceci permet deux choses. Pour les laboratoires, il s’agit d’afficher un prix de médicament artificiellement élevé pour les aider dans leurs négociations de prix ailleurs dans le monde. Pour l’Etat, il s’agit d’éviter que des centrales d’achat étrangères se fournissent en médicaments en France puis les revendent plus cher ailleurs (on parle d’importation parallèle), et vice et versa, ce qui contribue dans un sens aux pénuries de médicaments, dans l’autre à un manque à gagner fiscal.
A titre d’exemple, imaginons que le laboratoire X souhaite mettre sur le marché un médicament. Ailleurs en Europe, le médicament en question est vendu à un prix de 10€ par boîte. Cependant, le CEPS est prêt à signer pour un prix de 5€ par boîte. Un tel prix mettrait le laboratoire X en difficulté pour solliciter, auprès d’autres pays, un prix de 10€ par boîte alors que celui-ci est deux fois inférieur en France. Le CEPS propose donc au laboratoire, afin de permettre la signature de l’accord, de pratiquer un prix facial de 10€ par boîte, ce qui arrange tout le monde.
Pour chaque boîte vendue, le laboratoire touche bien sûr le prix facial connu du public. Cependant, à chaque fin d’année, il reverse à la sécurité sociale la différence entre ce qu’il a perçu et ce qu’il aurait dû percevoir si le prix net avait été pratiqué. Pour les comptes sociaux, ce jeu est donc à somme nulle.
Le prix net ainsi négocié, couvert par le secret des affaires, ne peut ainsi être connu du grand public (article L.162-18 CSS).
Le recours à ce système de remises est cependant limité, comme il est précisé dans l’accord-cadre LEEM-CEPS (article 11). Ce prix facial n’est ainsi accessible qu’aux médicaments ayant obtenu une ASMR 1, 2 ou 3 – voire une ASMR 4 dans certaines conditions.
De plus, ce mécanisme est limité dans le temps ; les remises versées à la sécurité sociale chaque année afin de rembourser la différence entre prix facial et prix net doivent être transformées en baisses de prix, dans des conditions prévues à l’article 19 de l’accord-cadre. En clair, le prix facial a vocation à moyen terme à baisser jusqu’à rejoindre le prix net.
Outre la possible détermination d’un prix net et d’un prix facial, d’autres systèmes de remises peuvent être convenus entre le CEPS et les entreprises, comme le précise l’article 23 de l’accord-cadre. Expliquées dans le rapport d’activité du CEPS, il peut s’agir de « remises à la première boîte », de « clauses volumes » ou encore de « clauses de bon usage »…
Une fois la négociation achevée, une convention ou un avenant conventionnel est signée entre le CEPS et l’entreprise. Puis, le CEPS rédige les avis de prix et les arrêtés d’inscription au remboursement, les transmet pour signature aux directions compétentes du ministère de la santé. Dans le même temps, le Directeur général de l’UNCAM prend sa décision sur le taux de remboursement. Enfin, l’ensemble de ces textes est publié au Journal Officiel après transmission au secrétariat général du gouvernement.
Outre les cas communs, le CEPS intervient également pour fixer des tarifications spécifiques à certaines catégories de médicaments :
- Les médicaments inscrits sur la liste rétrocession font l’objet d’un prix de cession fixé par convention (ou par défaut par décision) entre le CEPS et l’entreprise dans les mêmes conditions que celles vues plus haut (L.162-16-5 CSS) ;
- Les médicaments inscrits sur la liste en sus se voient appliquer un tarif de responsabilité et un prix limite de vente aux établissements, fixés par convention entre le CEPS et l’entreprise dans les mêmes conditions que celles vues plus haut (L.162-16-6 CSS) ;
- Concernant les médicaments génériques, lors de leur commercialisation, leur prix est fixé conventionnellement avec une décote de 60% par rapport au prix du médicament de référence, cette spécialité de référence subissant également une décote de 20%. Ces dispositions sont précisées à l’article 24 de l’accord-cadre LEEM-CEPS.
- Un mécanisme analogue existe pour les médicaments biosimilaires ; il est prévu à l’article 25 de l’accord-cadre.
Dispensation | Nom du prix | Article | Nom du prix |
Marché de ville | Prix de vente au public | L.162-16-4 CSS | Convention CEPS-labo |
Établissements (intra-T2A) | Prix de vente aux établissements | Libre (sauf rétrocession, liste en sus ou fixation d’un prix limite de vente aux établissements) | |
Rétrocession | Prix de cession au public | L.162-16-5 CSS | Convention CEPS-labo |
Liste en sus | Tarif de responsabilité & Prix limite de vente | L. 162-16-6 CSS | Semi-conventionnel (prix plafond signé avec le CEPS) |
Accès précoce | Indemnité | L.162-16-5-1-1 CSS | Libre |
Accès compassionnel | Indemnité | L.162-16-5-2 CSS | Différents cas prévus légalement |
Accès direct | Indemnité | Art.62 LFSS pour 2022 | Libre |