Ça y est, la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2024 est parue au journal officiel du 27 décembre 2023 ! L’occasion de revenir sur les principales mesures « médicament » de la loi.
Il est à noter que deux articles concernant le médicament ont été censurés par le Conseil constitutionnel, dont un partiellement :
- Le 4e alinéa du 2° de l’article 72 a ainsi été censuré : il prévoyait que le ministre chargé de la santé puisse limiter ou interdire la prescription par télémédecine de certains médicaments en rupture d’approvisionnement. Le Conseil constitutionnel a en effet considéré que cette disposition contrevenait à l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé, reconnu par l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946, car pouvant priver des patients de médicaments essentiels au regard de leur état de santé au seul motif qu’ils ont consulté un médecin à distance ;
- L’article 75 de la LFSS, qui autorisait le recueil de données relatives aux patients bénéficiant de médicaments de thérapie innovante, a été censuré car ayant un effet trop indirect sur les dépenses ou les recettes des régimes de sécurité sociale pour figurer dans une loi de financement de la sécurité sociale.
En définitive, figurent toujours dans la LFSS pour 2024 les articles relatifs au médicament suivants :
- L’article 28 réformant le dispositif de clause de sauvegarde ;
- L’article 39 permettant la prise en charge sans prescriptions de médicaments contraceptifs ;
- L’article 50 permettant le financement forfaitaire de la dispensation à domicile de médicaments anticancéreux ;
- L’article 52 permettant aux pharmaciens de prescrire certains vaccins et de délivrer des médicaments après réalisation d’un test diagnostique ;
- L’article 53 permettant de délivrer des médicaments en officine à l’unité ;
- L’article 54 permettant aux pharmaciens de pratiquer la substitution biosimilaire ;
- L’article 70 concernant le tarif de cession des produits sanguins et les recettes de l’établissement français du sang (EFS) ;
- L’article 71 permettant aux officines, en cas de rupture de stock, de réaliser des préparations officinales spéciales (nouvelle catégorie juridique), ainsi que de dispenser des préparations hospitalières spéciales. Cet article prévoit aussi les conditions de prise en charge de préparations magistrales réalisées pour cause de ruptures de stock ou tensions d’approvisionnement ;
- L’article 72 permettant au ministre de la Santé en cas de rupture d’approvisionnement de rendre obligatoire le recours à l’ordonnance de dispensation conditionnelle ou à la dispensation à l’unité, et permettant (concernant les MITM) au DG de l’ANSM de prendre des mesures de police sanitaire nécessaires ;
- L’article 73 permettant le recours à un formulaire type afin d’indiquer, en complément d’une ordonnance et en vue de la prise en charge par l’assurance maladie d’un produit de santé, des éléments relatifs aux circonstances et indications de la prescription ;
- L’article 76 apportant plusieurs modifications au dispositif d’accès précoce ;
- L’article 77 concernant les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, notamment les conditions de reprise de l’exploitation d’un médicament en cas de suspension ou cessation de commercialisation ;
- L’article 78 concernant la création de la catégorie juridique de médicament à base de cannabis.
Eu égard à ces modifications, les pages de ce site internet traitant de ces différents sujets sont mises à jour. En revanche, les pages relatives à la prescription, au développement clinique et à la lutte contre les pénuries de médicaments ne sont toujours pas rédigées – elle feront l’objet de publications ultérieures.
Attardons nous à expliquer les principales mesures « médicament » de cette LFSS.
Clause de sauvegarde
La LFSS pour 2024 a introduit des changements dans les modalités de calcul de la clause de sauvegarde, qui entreront en vigueur pour la plupart à compter du 1er janvier 2024. Vous pouvez consulter notre article dédié à ces changements, ainsi que la page de notre site consacrée à la clause de sauvegarde mise à jour.
Substitution biosimilaire
Pour rappel, les médicaments biosimilaires sont aux médicaments biologiques ce que les médicaments génériques sont aux médicaments chimiques classiques. Ainsi, un médicament biosimilaire est selon l’article L.5121-1 du code de la santé publique un médicament biologique :
- De même composition qualitative en substance active qu’un médicament biologique de référence ;
- De même forme pharmaceutique qu’un médicament biologique de référence ;
- Mais qui ne remplit pas les conditions prévues pour être regardé comme une spécialité générique, en raison de différences liées notamment à la variabilité de la matière première ou aux procédés de fabrication.
Eu égard aux spécificités des biosimilaires, les pharmaciens d’officine ne peuvent pas les dispenser à la place de médicaments de référence aussi aisément que des médicaments génériques classiques. L’article L.5125-23-2 CSP dispose ainsi que le pharmacien ne peut délivrer un biosimilaire par substitution à un médicament biologique de référence que si les conditions cumulatives suivantes sont remplies :
- Le biosimilaire appartient au même groupe biologique similaire que le médicament prescrit ;
- Le biosimilaire figure sur une liste de substitution fixée par arrêté des ministres de la santé et de la sécurité sociale pris après avis de l’ANSM, arrêté accompagné de conditions de substitution et de conditions d’information du prescripteur et du patient ;
- Ces conditions de substitution et d’information peuvent être respectées ;
- Le prescripteur ne doit pas avoir exclu expressément la substitution par une mention sur l’ordonnance ;
- Si le médicament est inscrit sur la « liste ville », la substitution ne doit pas entraîner une dépense supplémentaire pour l’assurance maladie supérieure à la dépense qu’aurait entraînée la délivrance du biosimilaire le plus onéreux du même groupe (V. de l’article L.162-16 CSS).
L’article 54 de la LFSS pour 2024 complète ces dispositions en prévoyant qu’à défaut d’inscription du premier biosimilaire de son groupe sur la liste de substitution deux ans après son inscription sur la liste ville, un arrêté autorise le pharmacien d’officine à délivrer par substitution au médicament biologique de référence un biosimilaire appartenant à ce groupe, sauf avis contraire de l’ANSM publié avant la fin de ce délai de deux ans. L’avis de l’ANSM peut comprendre des conditions de substitution et d’information, ainsi que des mises en garde.
Pour la mise en œuvre de cette nouvelle mesure, l’ANSM doit rendre un avis avant le 31 décembre 2024.
Préparations hospitalières spéciales
L’article 71 de la LFSS pour 2024 prévoit d’élargir les cas d’autorisation de préparation de préparations hospitalières spéciales par l’ANSM aux cas d’arrêt de commercialisation d’un médicament d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) – pour l’instant cette autorisation n’est donnée qu’en cas de rupture de stock. Est également précisé que le ministre de la santé peut autoriser par arrêté la dispensation par les pharmacies d’officine de ces préparations.
Préparations officinales spéciales
Au même titre qu’existent déjà les préparations hospitalières spéciales, sous-catégories de préparations hospitalières créées par la LFSS pour 2022 afin de faire face aux tensions d’approvisionnement au sein des établissements de santé, est créée par l’article 71 de la LFSS pour 2024 la sous-catégorie de « préparation hospitalière spéciale », qui sera donc intégrée à l’article L.5121-1 CSP.
Revendication de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), cette nouvelle catégorie permet à titre exceptionnel et temporaire, pour faire face à la rupture de stock ou à l’arrêt de la commercialisation d’un MITM ou pour faire face à une menace ou à une crise sanitaire grave et pour garantir la qualité et la sécurité d’utilisation des produits. Selon des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, le ministre de la Santé pourra autoriser leur réalisation par les officines disposant de l’autorisation de l’ARS prévue à l’article L.5125-1-1 CSP, pour leur propre compte ou pour le compte d’une autre officine.
Ces préparations devront être soumises à prescription médicale, être réalisées selon une monographie publiée par l’ANSM, et être préparées à partir d’une matière première à usage pharmaceutique fournie par l’établissement pharmaceutique d’un hôpital titulaire de l’autorisation de fabriquer industriellement des médicaments prévue à l’article L.5124-9 CSP. Dans les faits, seule l’AGEPS (établissement pharmaceutique de l’APHP) est titulaire de cette autorisation (voir ici des conclusions d’un rapporteur public du Conseil d’Etat mentionnant cette spécificité)
Concernant la prise en charge, est ajouté un article L.162-16-4-5 CSS qui prévoit qu’un arrêté des ministres de la Santé et de la Sécurité sociale fixent les prix de cession des préparations hospitalières spéciales lorsqu’elles sont dispensées en officine, et des préparations officinales spéciales. Ces prix doivent couvrir les frais de réalisation et de dispensation en officine.
Préparations magistrales
L’article 71 de la LFSS pour 2024 prévoit également, concernant les préparations magistrales, que le directeur de l’ANSM peut recommander le recours à celles-ci en cas de rupture de stock ou de tension d’approvisionnement d’un MITM. Cette recommandation s’inscrit dans le cadre du V. de l’article L.5125-23 CSP, qui prévoit déjà la possibilité pour le directeur de l’ANSM de publier une recommandation de remplacement d’un médicament par un autre en cas de rupture de stock. Dans le cas du remplacement du médicament en rupture ou en tension par une préparation magistrale, il est prévu qu’un arrêté des ministres de la santé et de la sécurité sociale puisse fixer le tarif servant de base au remboursement ainsi que le prix de vente au public de celle-ci, jusqu’à remise à disposition du médicament en rupture ou en tension.
Accès précoce
La LFSS pour 2024 a introduit plusieurs modifications du dispositif d’accès précoce, en introduisant notamment un nouveau dispositif de prise en charge post accès précoce en attendant un nouvel avis de la HAS avant une potentielle inscription du médicament sur la liste en sus. Lire notre article dédié sur les nouveautés concernant l’accès précoce / lire notre page mise à jour sur l’accès précoce.
Médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM)
L’article L.5121-31 CSP prévoyait jusqu’à la promulgation de la LFSS pour 2024 que les entreprises titulaires d’AMM ou exploitant des médicaments doivent déclarer à l’ANSM la liste des médicaments pour lesquelles (oui, cette grossière faute d’orthographe a figuré dans le code de la santé publique de 2019 à 2023) ils élaborent des plans de gestion des pénuries. Désormais, cet article est réécrit et fait référence à la déclaration des médicaments « qu’ils considèrent être des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur », étant précisé que l’ANSM peut après procédure contradictoire « compléter cette liste si un médicament d’intérêt thérapeutique majeur n’y figure pas ». In fine, sera ainsi élaborée une liste des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur publiée sur le site internet de l’ANSM.
L’article L.5124-6 CSP est également modifié. Il prévoit qu’en cas de décision de suspension ou de cessation de la commercialisation d’un MITM ne faisant plus l’objet d’une protection par brevet, l’entreprise qui l’exploite doit préciser dans sa déclaration de fin de commercialisation les incidences prévisibles de celles-ci sur la population française.
Dans le cas où les alternatives thérapeutiques disponibles ne permettraient pas de couvrir les besoins de la population de façon pérenne, l’ANSM devra en informer le titulaire de l’AMM, qui devra rechercher une autre entreprise afin de reprendre l’exploitation du médicament. Cet article ainsi écrit décrit très précisément le processus de recherche d’entreprises, de partage des informations à celles-ci et de réponse aux offres reçues que le titulaire de l’AMM devra suivre.
En cas d’absence de repreneur ou au terme d’un délai de 9 mois suivant l’information transmise par l’ANSM quant à l’impossibilité de couvrir le besoin de la population en cas de fin de commercialisation du médicament, si l’ANSM le demande, le titulaire de l’AMM doit concéder à titre gracieux à un établissement pharmaceutique détenu par une personne morale de droit public l’exploitation et la fabrication du médicament pour le marché français, pour une durée de deux ans reconductible, à laquelle il peut être mis fin si une entreprise met sur le marché français le même médicament ou un médicament similaire.
En cas d’absence de mise en œuvre de ces obligations par l’entreprise, une sanction financière est prévue au titre de l’article L.5423-9 CSP.
Médicaments à base de cannabis
L’article 78 de la LFSS pour 2024 crée une nouvelle catégorie juridique de médicament : le médicament à base de cannabis. Lire notre article dédié à cette création.
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